lundi 1 avril 2013

Monsieur d'Emma Becker

Monsieur
d'Emma becker

Édition Denoël

Sortie le 13 janvier 2011
Format broché 480 pages

Présentation de l'éditeur :

Ellie, vingt ans, mène une existence légère et insouciante jusqu'au jour où elle rencontre Monsieur, un chirurgien marié approchant la cinquantaine. D'abord épistolaire, leur liaison prend son envol dans une chambre d'hôtel du quinzième arrondissement. Au gré des rencontres clandestines et d'appels téléphoniques fugaces, Ellie traversera plusieurs mois d'attente fiévreuse. Un engrenage passionnel dont elle tentera sans succès de se déprendre. Un roman-confession. Une description cruelle de la traversé du fantasme. Le désenchantement d'une Lolita contemporaine. 

Mon avis :

Ce roman comporte des scènes et termes explicites pouvant choquer tout le monde les plus jeunes. 

Avant d'acheter ce roman recommandé par un auteur dont j'apprécie énormément la plume (merci monsieur Jakubowski), j'avais pris la peine de retracer les différents avis de lecteurs, pas tous emballés ni enthousiastes quant au contenu du bouquin, c'est peu de le dire, mais unanimes sur un point : c'est bien écrit. Il ne m'aura pas fallu plus de vingt-quatre heures pour me décider à le commander.
Alors... curiosité malsaine ? Intérêt douteux ? Véritable désir de découvrir ce qu'Emma a pu coucher sur le papier, son histoire, la sienne à ce monsieur, assez perturbante pour pour qu'elle écrive un livre sur lui ?

Le roman est construit en trois parties. C'est un journal ouvert, une confession sans fard, sans tabou, sans pudeur. L'auteur y narre sa rencontre avec Monsieur, de quoi ils ont parlé, ce qu'ils ont fait ensemble, les obstacles surmontés ou ignorés. Les dérives d'une relation intense où aucun n'est épargné, où aucun ne veut faire de mal à l'autre, mais qui pourtant va immanquablement faire des victimes. Emma Becker raconte une tranche de sa vie, vécue sur quelques mois. Tout, ou presque, nous y est dévoilé et, si l'on ressent parfois une gène résiduelle et les propos types d'une jeune femme de cet âge (maladroits, crus, punitifs), on est également bluffés par la force des mots choisis.
Certains seront choqués avant même d'ouvrir ce bouquin : Monsieur est marié, père de famille, mais cette relation immorale (Ellie pourrait être sa fille) ne l'arrête pas le moins du monde. Mon Dieu, quelle horreur ! diront les plus outrés.

Pourtant, parmi tous les avis négatifs que j'ai pu lire, de gens qui s'insurgent, s'étouffent, se gonflent de sentiments quasi religieux en se signant (non, mais sérieux, j'ai lu un « vade retro » *misère*), tout ça pour pointer du doigt le culot « obscène » de cette jeune femme, je relève un détail qui mérite d'être précisé parce que vraiment, ça m'agace : tous ces gens bien pensants, dégoûtés et moralisateurs... l'ont forcément acheté, ce bouquin. Ou, tout du moins, se le sont procuré d'une manière ou d'une autre.
Il est question d'une relation consommée entre une post-adolescente de vingt ans et d'un homme ayant franchi la quarantaine, marié, père, et réputé professionnellement parlant. C'est écrit en toutes lettres sur la quatrième de couv'. Alors stop à l'hypocrisie, je me fais l'avocat du diable (et tant pis si ma boîte mail dégueule de ces petits mots pleins de sucre rose tout moisi dont je fais désormais la collection pour oser afficher mes goûts littéraires) et vous renvoie en face de vos actes et choix. Personne ne vous a obligés à lire ce livre, soyez un tant soit peu honnêtes et arrêtez de hurlez au scandale. Emma Becker n'allait pas se contenter de parler chiffon et vous le saviez.

J'en reviens à mes questions du début, mes motivations personnelles. Pourquoi ai-je moi-même acheté ce livre ? Curiosité, intérêt, désir, une bonne dose de voyeurisme aussi, mais surtout, la personnalité même de cette jeune femme m'intriguait et m'intrigue encore.
J'ai commencé ma lecture sans arrière pensée, je savais ce que j'allais trouver. Par contre, je ne m'attendais pas à ce que ça m'embarque aussi vite. Ce qui m'a sauté aux yeux en premier lieu, plus vivement encore que l'évidence de lire un morceau de la vie d'Emma, c'est la richesse de ses mots, sa façon d'en user et l'impact qu'ils ont sur le lecteur. (d'ailleurs, je viens de commander un dictionnaire des synonymes, je trouve mon vocabulaire soudain affreusement pauvre et triste)
Cependant, ce dialecte recherché, stylisé, exalté, n'empêche pas l'auteur de nous tenir des propos d'une crudité parfois limite, mais c'est le langage propre à chacun et c'est en fait celui-là qui a choqué les plus sensibles. Emma le décrit très bien elle-même dans son roman, ce langage, et explique pourquoi elle utilise bite plutôt que pénis, chatte plutôt que vulve, enculer plutôt que sodomiser. Ça colle tellement bien à l'esprit entier de son bouquin que ça aurait fait bizarre, dans ce contexte, si elle avait choisi des termes plus ampoulés, plus poétiques, plus romantiques.

Parlons de l'histoire. Ellie, vingt ans, est étudiante à Paris et passionnée des lettres. La littérature érotique tient une place de choix dans sa vie, ce qui n'est pas pour plaire à sa famille, et c'est pour cela qu'elle a entamé une relation avec Monsieur. Lui, est un collègue de l'oncle d'Ellie, un homme qui revient parfois dans les conversations à table sous des qualificatifs peu flatteurs : obsédé, volage, parlant tout le temps de sexe, lisant de la littérature érotique... Voilà. Quelqu'un a appuyé sur le détonateur, tout va s'enchaîner très vite pour finir comme ça doit finir dans une situation pareille. Mal.

Emma ne nous épargne aucun détail. Elle a ses mots, ses émotions, son ressenti et si, parfois, je l'avoue, j'ai eu envie d'aller la trouver pour la secouer un peu, lui dire « mais tu t'attendais à quoi, ma choupette ? », j'ai eu tout aussi envie de botter le cul de Monsieur pour avoir osé entraîner cette jeune femme dans une relation qui ne pouvait qu'être douloureuse et destructrice. Je passerai rapidement sur le fait que, non, je ne tolère pas l'adultère et rien que pour ça, Monsieur mériterait de vomir ses propres sphincter, mais qui suis-je pour porter un jugement sur un fait somme toute banal ? Des hommes trompent leur femme (et inversement) tous les jours, avec des partenaires parfois à peine majeurs, sans que personne n'y trouve rien à redire. Mais là, parce que l'auteur le dit haut et fort, paf ! Il faudrait la crucifier pour l'exemple ?
S'il s'était agi d'une fiction, on aurait salué l'imagination fertile et troublante de cette jeune femme, vachement mature pour son âge, mais il s'agit de son histoire donc c'est "malsain", "sale", "pervers", "nombriliste"... Tss...
Moi je dis chapeau, Emma. Et je dis, putain... j'ai encore pris une claque.

Je vais vous dire, à la fin du roman, j'ai pleuré. Pourtant, je m'étais armée dès le début, me disant à chaque fois qu'Ellie retrouvait Monsieur dans une chambre d'hôtel, que ça finirait mal. Elle s'est attachée, forcément. Elle a eu beau dire qu'il ne s'agissait que de cul, non. Elle est tombée amoureuse. Et lui ? En la voyait s'accrocher, le rappeler, lui écrire, qu'est-ce qu'il a fait ? Il l'a ignorée pour finalement lui dire qu'il ne pouvait pas (ne voulait pas) que ça se termine. Je l'ai trouvé monstrueusement égoïste alors qu'Ellie a été forcée de mûrir d'un coup et de grandir vite.

S'il y a une chose à retenir de ce roman finalement très complexe, c'est que toute chose a un coût. Tout acte a des répercussions. L'amour n'a peut-être pas de frontière, mais il est blindé de contraintes. Après la lecture de Monsieur, de nombreuses questions foisonnent encore dans ma tête d'insatiable curieuse, mais ça, c'est mon problème. Ceci dit, continue d'écrire, Emma. Sur ce point, Monsieur avait raison. Tu as du talent.


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